Naufragé sur une île, un certain « Gisou » devient Dieu vivant de la tribu des Zoas, qui se livre bientôt à un suicide collectif sur son ordre. Tous périssent, sauf un : le récalcitrant Proutto, qui finit pourtant par s’incliner devant la puissance de son Dieu. Ce dernier va alors exercer une domination totale sur l’existence de son esclave souffre-douleur : ses rites, son alimentation, sa sexualité… Mais l’arrivée d’une princesse que Proutto souhaite épouser va bientôt bouleverser les rapports du duo.
Critique radicale de la crédulité religieuse, de la colonisation des esprits et de la soumission volontaire, cette robinsonnade drôle et féroce de Topor, parodie sadienne du Vendredi de Michel Tournier, parvient à nous faire rire du pire.
Roland Topor (1938-1997) : peintre, dessinateur, écrivain, dramaturge, poète, chansonnier, cinéaste, acteur, photographe, etc. Remarqué très tôt pour ses étranges dessins au graphisme original (dans Arts, Bizarre et Hara-Kiri), il reçoit le prix de l’Humour noir dès 1961 et crée le mouvement d’avant-garde Panique avec Arrabal, Jodorowsky et Olivier O. Olivier.
Son premier roman, Le Locataire chimérique, sera adapté au cinéma par Roman Polanski ; son deuxième, Joko fête son anniversaire, recevra le prix des Deux-Magots en 1970 ; il écrira aussi des recueils de nouvelles, des pièces de théâtre et des livres concepts.
Du long-métrage d’animation La Planète sauvage (avec René Laloux, prix spécial du Jury à Cannes en 1973) au meilleur film sur Sade, l’étonnant Marquis (avec Henri Xhonneux), en passant par les émissions télévisées Merci Bernard, Palace et Téléchat, Topor marquera également de son empreinte le cinéma et l’audiovisuel.
Certaines de ses images (affiches pour Amnesty International ou les films L’Empire des sens et Le Tambour) ont fait le tour du monde, toujours relevées d’un humour noir féroce.
« De son vivant, Topor vendait peu de tableaux, en donnait beaucoup, ses livres faisaient des bides, ses pièces des scandales, ses films faisaient hurler les critiques, et tout cela le rendait hilare : qu’est-ce que vos parents ont été cons ! Dépêchez-vous de (re)découvrir ou même relire tout simplement ces petits bijoux d’un des génies du XXe siècle. Avant que trente crétins, par leur silence, ne nous l’enterrent pour de bon. » (Yves Frémion, Fluide glacial)
« J’ignore comment cela s’est produit, mais les faits sont là : depuis trois cents jours, je suis Dieu Vivant chez les Zoas. La tâche est des plus simples. Je bois, je mange, je me promène au bord de la mer. Je dors beaucoup car les distractions manquent. Pourtant, les Zoas ont à cœur de satisfaire mes moindres caprices. Un froncement de sourcil les plonge dans l’effroi. J’éternue, ils se prosternent ; je pète, ils mordent la poussière. On m’obéit au doigt et à l’œil sans que je songe à donner d’ordres.
Rien de plus agaçant parfois. »
« Des événements terribles se produisent et viennent m’accabler tour à tour sans que je puisse ni les comprendre ni les éviter. Dès que je jette une pierre en l’air, elle me tombe sur la gueule. Et si je n’y touche pas, elle me retombe quand même sur la gueule. Dès que le vent se lève, il m’envoie des pierres sur la gueule. S’il pleut, il pleut des pierres sur ma gueule. Ma gueule est pleine de bosses. Je suis meurtri et je saigne de partout. Pourquoi ma femme est-elle si méchante avec moi ? Elle m’accuse d’avoir des relations extraconjugales avec une créature imaginaire, issue de son esprit diabolique. Je lui suis toujours resté fidèle, ce qui était facile vu qu’il n’y a personne d’autre dans les environs. Je suis écœuré par tant d’injustice. Je m’en vais. »