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7500 euros

DAVID SPECTOR

7500 euros

Pastiches politico-littéraires





Variations sur une campagne présidentielle

à la manière de…


Michel Houellebecq – Adhésion

Marcel Proust – En même temps

Vladimir Nabokov – Lolito

Patrick Modiano – Souvenirs brumeux de l’ancien monde

Marc Levy – Lui et elle

Eddy Bellegueule – En finir avec Édouard Louis

Emmanuel Carrère – Le Nombril

Théodore Dostoïevski – Frime et financement

Georges Feydeau – L’Hôtel du Nouveau Monde

Gustave Flaubert – Normandie Tech

Georges Perec – La Disruption

Bruno Le Maire – Ma patronne, quelle femme !


Un professeur de latin-grec houellebecquien s’engage en politique pour des raisons peu avouables, qui lui coûteront 7500 euros. Une Emma Bovary moderne se pâme devant un startuppeur normand. Égaré dans une réunion de levée de fonds, un narrateur modianesque croise des personnages pas très clairs qui lui rappellent vaguement des souvenirs lointains. Un dîner proustien donne à l’expression « en même temps » une saveur inattendue. Au cours de son enquête sur une campagne présidentielle, Emmanuel Carrère bascule dans une introspection sans concession qui se solde par une violente douleur au nombril, cependant qu’Eddy Bellegueule veut en finir avec Édouard Louis…

Entre hommage et parodie, jeu littéraire et satire sociale, David Spector imagine dans ces douze pastiches jubilatoires comment des auteurs aussi différents que Flaubert, Dostoïevski, Nabokov, Perec, Marc Levy ou Bruno Le Maire auraient évoqué une campagne présidentielle, chacun avec son style propre et ses thèmes de prédilection.


« S’agit-il de parodies, ou de pastiches ? En principe, le pastiche tel que le pratique Proust est un hommage, la parodie une critique par imitation. (…) Être pastiché est une forme de reconnaissance. Je rêve d’être pastiché par David Spector. Être parodié, ça peut se discuter. Quoi qu’il en soit, ses pastiches (ou ses parodies) font franchement rire. On admire le brio, on s’enchante de la malice, et le fil rouge de ces textes, qui est la présidence d’Emmanuel Macron, prend un côté délicieusement clownesque dans le numéro d’acrobatie fantaisiste qu’est chacune de ces imitations. » (Extrait de la préface de Pierre Jourde)


Parution : 20 janvier 2022

Préface de Pierre Jourde

« Les Insensés » n°45

Format 125 x 187 avec rabats

128 pages – 15 euros

ISBN : 978-2-37498-203-8


Ce livre est également disponible en e-book (formats ePub et PDFweb)

L’AUTEUR

DAVID SPECTOR


Né en 1971 à Paris, David Spector signe ici son premier ouvrage de fiction.

Extrait 1 : « Adhésion »

À LA MANIÈRE DE MICHEL HOUELLEBECQ


Adhésion


Arrivé à la soixantaine, j’étais entré dans une phase de déclin physique, certes lent, mais inexorable. La peau de mes bras, moins ferme, s’était mise à pendre et à former des plis, et mon menton se dédoublait dangereusement. Année après année, quand une nouvelle collègue jeune et raisonnablement bien foutue arrivait dans le lycée où j’enseignais le latin et le grec, il devenait plus difficile de la convaincre de venir chez moi pour voir mes livres anciens et plus si affinités. Mon statut social n’était pas assez élevé pour compenser ma dégradation physique.

Quelques éléments me permettaient de surnager : une belle maison en centre-ville qui valait trois fois le prix auquel je l’avais achetée en 1994, et ma collection de livres anciens en partie hérités, en partie achetés avant qu’internet ne permette aux libraires du coin de vendre leurs éditions anciennes à des traders français de Londres ou New York à des prix inabordables pour moi. Avec mon salaire de professeur agrégé en fin de carrière, tout ça m’installait solidement dans la zone médiane des classes moyennes supérieures, et il aurait été grotesque de prétendre autre chose devant une jeune prof qui pouvait m’intéresser. Les femmes, surtout quand elles sont désirables ou l’ont été, ont un radar qui évalue avec précision le statut social de l’homme qu’elles ont en face d’elles. Depuis quelques dizaines de milliers d’années, ce radar les aide à assurer leur survie et celle de leur descendance.

Du coup, les jeunes profs, en dehors des plus disgracieuses, étaient devenues quasiment inaccessibles : elles voulaient des hommes soit plus jeunes et plus beaux que moi, soit plus valorisants socialement et financièrement. Alors je me rabattais sur les documentalistes, assistantes d’éducation, psychologues ou infirmières scolaires. Avec certaines j’avais eu des relations à peu près satisfaisantes. Mais avec Jeanne, qui habitait chez moi depuis trois ans, ça avait tout de suite été catastrophique.

Entre sa cuisine immangeable et ses lectures stupides (la sagesse sacrée des Toltèques et autres manuels de self-help qui ne l’aidaient en rien, sinon à devenir chaque jour plus odieuse), elle avait réussi à faire de ma vie un enfer. Au lit, ça n’était pas terrible non plus. Les magazines féminins qu’elle lisait religieusement lui avaient appris à considérer un homme qui bande mou comme une raclure qu’il faut écraser à coups de talons hauts. Assez vite, il m’était devenu impossible de la pénétrer si elle ne commençait pas par me sucer consciencieusement. Et comme elle avait lu, dans les mêmes magazines, qu’une fellation est une offrande dont un homme doit être éternellement reconnaissant, ça lui avait donné une raison de plus pour être désagréable. Alors que moi, je m’en foutais de son offrande, elle n’était pas très douée pour la fellation, et rien de toute façon ne pouvait égaler celles de Claire dix ans plus tôt, mais c’est une autre histoire, j’en reparlerai sûrement.

Un jour, un événement m’avait permis de redresser la barre ponctuellement. J’étais allé déjeuner avec mon collègue de mathématiques, Sanchez, à la brasserie à côté du lycée. Cette brasserie essayait d’imiter le style bistronomique parisien, mais heureusement elle n’y arrivait pas et on pouvait encore y manger, au moins dans la formule déjeuner entrée-plat-dessert à quatorze euros, des plats normaux comme une escalope normande ou une raie aux câpres. J’ai écouté les gens attablés à côté de nous. Apparemment, c’étaient des consultants venus de Paris pour rebrander l’une des principales entreprises de la ville, la Compagnie sablière de la Loire. D’après ce qu’on m’a dit plus tard, mais je n’ai pas vérifié et à vrai dire je m’en fous, ils ont facturé 120 000 euros pour transformer le nom de l’entreprise en Sableo (certains ont parlé de 500 000 euros, mais je n’y crois pas une seconde, on est quand même en province).

Parmi eux, il y avait une consultante débutante (je crois qu’ils disent junior consultant) dont la robe blanche serrée et un peu translucide laissait voir les seins. J’avais repensé à elle le soir et ça m’avait permis de bander assez dur pour pénétrer Jeanne sans fellation préalable. J’espérais que cette érection améliorée allait m’éviter les crises de nerfs et reproches habituels. C’était bien vu. Elle avait dû être contente car, cette semaine-là, sa cuisine fut un peu moins ratée que d’habitude. Surtout, elle ne m’avait pas dit d’un ton pleurnichard, comme elle le faisait presque tous les samedis, qu’il fallait entamer ensemble un travail sur notre relation, ce qui avait pour seul effet de m’envoyer me réfugier dans les toilettes avec Le Monde, un roman policier ou l’Iliade dans la nouvelle traduction de Philippe Brunet – voire, quand Jeanne m’exaspérait tellement que je prévoyais d’y rester enfermé une heure ou deux, dans l’original grec.

Dans les mois qui ont suivi, si je passais pendant la journée devant la sablière, la vision du logo Sableo me rappelait cette fille et je bandais moins poussivement le soir. Mais bon, c’était un peu comme un paracétamol, ça marchait quelques heures seulement, donc c’est plutôt en fin d’après-midi que je faisais un détour par là si j’avais le temps.

Malheureusement, dans le cadre du nouveau plan stratégique (appelé Ambition 2030, Croissance 2025 ou Performance 2037 par des consultants qui en avaient profité pour se gaver en vendant des PowerPoint truffés d’anglicismes absurdes), l’usine, rachetée entretemps par des Chinois, avait fermé. Sa fermeture avait eu deux conséquences sur la population locale : le licenciement d’une cinquantaine de salariés (avec à la clé des suicides, divorces, échecs scolaires des enfants, fermetures de petits commerces) et, ce qui était plus grave, la disparition du panneau Sableo qui avait été le dernier rempart de mes érections fragiles…


À SUIVRE !

Extrait 2 : « Lolito »

À LA MANIÈRE DE VLADIMIR NABOKOV


Lolito


Le texte suivant a été trouvé dans la cellule de dégrisement du commissariat de Versailles. Brigitte Brigitte venait d’y passer quelques heures après son arrestation dans la Galerie des glaces du château, où on l’avait surprise en train de briser des miroirs à coups de sac à main.


Lolito, feu de mes reins, joie de mes derniers feux. Emmanuel. Manolo. Lo. Lolito. Un mètre douze en chaussettes quand je l’ai connu. Au Palais, il était le PR. Pour les chansonniers, c’était Manu. Pour les business angels, cet ange était leur cher Emmanuel. Mais sur mes genoux, dans son pyjama bleu ciel, c’était toujours Lolito.

Ô lecteur, avant de m’accuser, sache que cette passion funeste plonge ses racines dans l’histoire tourmentée de ma Picardie natale. Ma prime jeunesse se passa dans un manoir néogothique que mon père avait fait construire en 1892, trois ans avant ma naissance, grâce à la vente d’une de ses fabriques de macarons. Une Petra Petrovna de St. Petersburg (Pinellas County, Florida) m’apprit l’anglais, la danse, la harpe et le piano, et fit de moi une jeune fille accomplie.

Je ne laissais pas indifférents les jeunes hommes de la région. L’un d’eux me plut, nous brûlions de nous connaître*, mais notre ardeur juvénile se fracassa contre l’histoire avec sa grande hache*. Un jour de l’été 1914, la cacophonie des tocsins fit disparaître soudainement les hommes de plus de dix-huit ans. À leur place, on vit bientôt partout des nuées de jeunes garçons.

Lecteur, c’est le moment d’une digression : entre sept et douze ans, certains garçons sont dotés d’une grâce diabolique plutôt qu’humaine, que seules certaines femmes savent voir. Elle se révèle furtivement, dans la jambe galbée d’un petit footballeur de rue ou dans le reflet irisé d’une bille sur l’œil du garnement qui joue avec, trop concentré pour remarquer le regard lascif posé sur lui. Appelons nymphets ces êtres fugaces. Dans quelques cas rares mais soigneusement répertoriés, la grâce du nymphet se montre plus tôt, dans le chiaroscuro d’une échographie où se devine la courbe d’une épaule. Ces exceptions ne se rencontrent jamais en sens inverse : à treize ans, le charme est irrémédiablement rompu, è finita la commedia.

La passion que je conçus pour les nymphets pendant ces années de guerre détermina le cours de ma vie amoureuse. En apparence, j’étais une jeune femme comme les autres. J’avais parfois une passade avec un soldat en permission, mais je finissais toujours par le céder à une amie pour laisser les nymphets régner seuls sur mon imagination.

La reprise de la pâtisserie familiale en 1919 fut le début d’un long et délicieux abus de bien social (pardonne-moi, lecteur honnête, mon semblable, mon frère*) : j’offrais toutes les douceurs possibles aux petits écoliers qui venaient à l’heure du goûter. Puis, le visage couvert de crème ou de chocolat, ils partaient s’ébattre comme des pions blancs et noirs dans les rues en damier d’Amiens. Ces libéralités ruinèrent lentement la pâtisserie. Elle succomba en 1937, mais heureusement pour moi on accusa le Front populaire.

On me proposa ensuite de succéder à une vieille fille austère qui avait enseigné le français et le latin dans un collège de Jésuites. Je demandai les plus petites classes. Ainsi me fut épargnée, au prix d’une mélopée de rosa rosa rosam et de rédactions sur les vacances d’été, la vue des sinistres années de métamorphose pendant lesquelles le nymphet fait place à un être grossier au torse large, à la moustache naissante et à la voix caverneuse. Je créai un club de théâtre pour le plaisir de voir mes élèves s’égayer gracieusement en maltraitant les alexandrins. Parfois, l’un d’eux remuait mes entrailles de son regard perçant. Oh, my pupil’s fatal pupil !

Un jour de 2016, j’appris en lisant le Quarterly Bulletin of the Royal Society of Pre-Teen Studies que l’âge médian d’apparition des premiers signes de la puberté chez les garçons, qui était passé de quatorze ans et huit mois en 1912 à douze ans et cinq mois en 2012, devait selon les spécialistes « se stabiliser autour de dix ans et neuf mois à l’horizon 2040 ». Les petites classes du collège cesseraient bientôt d’être pour moi un havre de délices. Sois sage, ô, ma douleur* ! Bouleversée, je quittai l’enseignement et partis pour Paris où j’ouvris une pâtisserie.

Au lieu des escouades d’écoliers espérées, je recevais surtout des commandes de bourgeois bedonnants qui voulaient retrouver le goût sucré de leur enfance – leur « madeleine », comme ils disaient invariablement, avec un sourire écœurant de connivence lettrée. Un de ces appels me fit pousser la porte d’un palais de style Pompadour, rue du Faubourg Saint-Honoré. J’y retournai souvent, pour livrer toutes sortes de gâteaux à mon client François H., qui tomba amoureux et me demanda en mariage.

Il me pria un jour de porter quelques viennoiseries à son fils Emmanuel. Je montai l’escalier qui menait à la chambre de « Lolito ». Absorbé par la contemplation ravie de son reflet dans un miroir, il ne m’entendit pas approcher. Au premier coup d’œil, je vis en lui la synthèse ou plutôt la réincarnation des jeunes garçons qui, un siècle plus tôt, avaient été mon émerveillement premier.

François H. ne me plaisait pas, mais je l’épousai dans l’espoir de me rapprocher de Lolito. L’occasion vint un soir, alors que mon époux pataud était en visite officielle dans un pays que j’ai oublié. Lolito préparait pour le lendemain un « contrôle de maths », comme on appelait maintenant les compositions d’arithmétique. Il vint sur mes genoux pour réciter ses tables de multiplication. Arrivé à dix fois dix, il me dit : « Brigitte, j’ai une surprise pour toi » et récita sa table de onze. À onze fois onze, il me dit d’un air grave et tendre : « Cent vingt et un, c’est ton âge, Brigitte ! Cette table de onze, je l’ai apprise spécialement pour toi, et en plus, ton âge, c’est un carré. Ton prochain carré, douze fois douze, j’ai calculé, ce sera à cent quarante-quatre ans, et alors moi, j’en aurai trente-trois. Je serai une grande personne et je n’habiterai plus avec papa et toi. »

Ces mots nous firent venir les larmes aux yeux et l’émotion nous submergea…


À SUIVRE !


* Toutes les expressions suivies d’un astérisque sont en français dans le texte. (Note du traducteur.)

La presse sur 7500 euros

« Économiste et fin lecteur, David Spector tire en pleine campagne présidentielle une salve de « pastiches politico-littéraires » qui font souvent mouche, en prenant pour thème de départ le macronisme, rhabillé littérairement pour l’hiver (…) Fausses notes de l’éditeur ou du traducteur, anachronismes délibérés, carambolage des registres, tout est bon pour se payer la grandeur des uns et le narcissisme des autres » (David Fontaine, Le Canard enchaîné)


« L’auteur témoigne ici d’un grand talent de lecteur, capable de restituer le style et les manies des romanciers qu’il imite – on soulignera ses excellents Houellebecq, Carrère et Flaubert. Surtout, un tantinet potache, il croque avec malice les personnages et les thèmes politiques de notre temps (…) De cette lecture, on sort convaincu que la littérature vaut souvent mieux que l’essai pour décrire les travers d’une époque. » (Laetitia Strauch-Bonart, L’Express)


« À contretemps d’une actualité politique morose, un livre relève la gageure de faire rire avec une campagne présidentielle (…) Avec ce recueil aussi drôle qu’intelligent, l’auteur, économiste et chercheur au CNRS, réussit sa première incursion dans le champ littéraire. » (Stéphanie Dupays, Le Monde des livres)


« Avec son premier recueil de nouvelles, 7 500 €, l’économiste et chercheur David Spector se livre à un double exercice de haute voltige : faire un portrait de la macronie en marche tout en pastichant de grands auteurs. C’est brillant et jubilatoire. » (Judith Housez, LesEchos.fr)


« Tout le monde en prend pour son grade, écrivains et politiciens, et c’est un véritable régal du début à la fin. » (Stéphane Babey, Vigousse)