« Le libraire m’a dit que l’histoire d’O avait été publiée en livre. Je le lui ai acheté, l’ai lu d’une traite. La pauvre n’a pas souvent ri. »
Ce livre, commencé en 1975, terminé en 2012, longuement mûri, comme on voit, est né d’une circonstance : un grand hebdomadaire, à grand renfort publicitaire, se lança dans la publication en feuilleton du roman érotique le plus célèbre du xxe siècle. Il s’agissait de L’Express, dont la cofondatrice occupait alors la toute nouvelle fonction de secrétaire d’État à la Condition féminine, et il s’agissait d’Histoire d’O. Justifier cette opération commerciale, de la part d’un journal qui s’était fait le champion des luttes féminines, n’était pas chose simple : il lui fallut se livrer à des contorsions intellectuelles du plus fort calibre, en matière d’hypocrite morale, pour associer ainsi, dans un même mouvement, « bonheur dans l’esclavage » et « libération de la femme ».
Le journal Hara-Kiri, qui se proclamait sans honte, lui, « bête et méchant », ne pouvait laisser passer le cynisme d’un pareil coup éditorial sans en faire son miel et publia aussitôt une charge, sous le nom de Mon cul sur la commode, à la fois parodie d’Histoire d’O et célébration outrée des nouveaux (et nouvelles) thuriféraires d’un sadomasochisme dont le grand public, jusque-là, avait ignoré les vertus libertaires. Christian Bourgois, de son côté, en donna une édition à tirage limité.
Quatre décennies avaient passé. Il apparaissait que Mon cul sur la commode n’avait rien perdu de sa drôlerie ni de sa pertinence, et Delfeil de Ton, à l’instar de Pauline Réage avec Retour à Roissy, n’avait plus qu’à en écrire la suite et fin inédite, c’est Retour à Passy.
Porno chic !
Pastiche de haute volée, provocant et hilarant, cérébral et grotesque, pornographique et sarcastique, Mon cul sur la commode, suivi de Retour à Passy, ne laissera foutre personne indifférent !
Delfeil de Ton entre à Hara-Kiri en 1967. Il restera fidèle au journal jusqu’à sa disparition en 1986. Cofondateur de Charlie hebdo en 1970, il le quittera cinq ans plus tard pour Le Nouvel Observateur, où il signe toujours ses Lundis de DDT, dont un premier recueil est paru à L’Apocalypse en 2012. Il est également l’auteur d’un étonnant Journal de Delfeil de Ton (Wombat, 2011).
« Un cul. Le plus beau des culs. Une commode. La plus belle des commodes. Ce cul, posé sur cette commode. Abandonnée sur son meuble voilà bien des années, notre héroïne et la commode poursuivirent leur existence, qui vous est ici aujourd’hui contée. Mon cul sur la commode, suivi de Retour à Passy, est l’histoire d’une amoureuse exemplaire. Un grand roman féministe, enfin complet. »
“ Sir Stephen avait dit à Ophélie : « Soyez prête à deux heures, la voiture viendra vous chercher. » Quand Sir Stephen parlait à Ophélie sur le ton qu’il venait d’employer, Ophélie savait que Sir Stephen allait vouloir d’elle quelque chose à laquelle il attachait de l’importance et elle sentait, alors, comme elle était heureuse que son appartenance à Sir Stephen pût lui donner l’occasion de se soumettre aux désirs de Sir Stephen, puisque les désirs de Sir Stephen étaient de la soumettre à son désir qui était de désirer toujours des désirs qui lui feraient désirer de toujours désirer d’elle davantage, donc de la désirer, elle, Ophélie, et elle était reconnaissante à Sir Stephen de la trouver désirable parce que si Sir Stephen cessait de la trouver désirable, sûrement qu’il cesserait de la désirer et de vouloir désirer d’elle des désirs qui lui montraient, à elle, que d’elle on pouvait tout désirer, tout, c’est-à-dire tout ce que pouvait désirer Sir Stephen, et elle désirait les désirs de Sir Stephen, et si Sir Stephen cessait de la trouver désirable, sûr qu’elle n’aurait plus rien à désirer, que le désir de Sir Stephen, mais par hypothèse il n’y aurait plus de désir de Sir Stephen et donc Ophélie serait bien malheureuse, et c’était ce qu’il fallait démontrer, et c’était ce qu’il fallait éviter, CQFD, et c’est pourquoi Ophélie était prête à une heure, quand Sir Stephen lui avait dit d’être prête pour deux heures, et elle attendait, sagement, que la voiture vînt la chercher, assise sur une chaise de la cuisine, après avoir relevé sa robe en s’asseyant, de manière que ses cuisses et ses fesses nues avaient été saisies au contact du froid du revêtement en formica, et elle avait les genoux écartés, et ses lèvres étaient ouvertes, comme Sir Stephen l’exigeait d’elle, en sa présence ou en la présence d’autres hommes, mais elle se tenait ouverte, ainsi, même lorsqu’elle était seule, et elle était heureuse, ne disant pas à Sir Stephen qu’elle faisait cela, d’offrir ce secret à Sir Stephen. Elle se mettait dans la cuisine, en attendant le coup de sonnette du chauffeur de Sir Stephen, parce qu’ainsi elle entendait plus tôt ce coup de sonnette, puisque la sonnerie était dans la cuisine et, qu’étant assise sous la sonnerie, Ophélie gagnait le temps que mettait le timbre de la sonnerie à se propager dans l’appartement, quelques millièmes de seconde, sans doute, mais ces quelques millièmes de seconde la rapprochaient de la soumission aux désirs de Sir Stephen. ”
« Fouets, fist-fucking et gaudrioles ponctuent les aventures sado-maso de la très débauchée
Ophélie, soumise à un dénommé CRS... On applaudit ce pastiche désopilant d’Histoire
d’O, presque aussi culte que son modèle. » (Emily Barnett, Grazia)
« Il paraît qu’Histoire d’O n’était pas une parodie. C’est ce que
j’ai longtemps cru... Mon cul sur la commode serait alors la parodie d’une parodie, nous touchons ici
à l’exploit. L’outrance est la vocation même du porno. La permissivité actuelle fait que le
genre n’a plus guère de bornes à passer. Le voici repris chez Wombat, copieusement complété
par Retour à Passy, qui prouve avec brio que le pire est toujours dépassable. »
(François Cavanna, Charlie hebdo)
« Gentiment sadien et gaillardement érotique, ce pastiche absurde mâtiné d’Histoire
d’O et saupoudré d’un Raymond Devos qui appliquerait à ses obsessions sexuelles son littéral
traitement – le cul sur la commode parlant bien d’un cul sur une commode, hein – révèle une fois de
plus la liberté de DDT, son formidable humour et son précurseur amour du nimp’, ce n’importe quoi
cher à Hara-Kiri et Charlie hebdo dont il fut un des plus émérites collaborateurs. Curiosité
inattendue, joli coup de pied de l’âne et plus si affinités, ce texte ovniaque ne démérite pas de
la sulfureuse réputation du libertaire auteur qui décanille au passage pas mal de puissants et de
clichés. » (Agnès Léglise, Rock & folk)
« Comme toute parodie estampillée Hara-Kiri, celle-ci est aussi hilarante que « bête et
méchante », même si le style n’égale pas la sobriété du modèle. Les
premières pages font ainsi penser à celui d’une Marguerite Duras tombée par accident dans la marmite
sadomasochiste. Tout cela est assez décapant et, comme l’affirme le bandeau, relève du « porno
chic »... au second degré. » (Thierry Savatier, « Les Mauvaises
fréquentations », Lemonde.fr)
« Tout cela est d’une virtuosité étourdissante, joue avec tous les types de récit,
répertoriés ou non. Pour lecteurs subtils. » (Jacques Drillon, Le Nouvel Observateur)