Explorateur britannique aussi flegmatique que peu perspicace, l’inénarrable Binder repart à l’aventure. Cette fois, c’est sur un radeau en plein océan Pacifique qu’il se laisse entraîner par son ancien condisciple Wagstaff, savant flanqué d’une improbable ménagerie, dont une grenouille et une huître volubiles. Leur mission : retrouver une espèce de poisson qui parle le « buburup »...
L’équipage se compose en outre de trois bras cassés affiliés au club des Martyrs : Hugo Hurlstrom, Cwmlad Jones et Batters, spécialiste masochiste du naufrage volontaire. Car pour être un aventurier, un vrai, il faut savoir souffrir. Les rations se limiteront à du mastic, de la sciure de bois et vingt-huit boîtes de sardines. L’inflexible Batters passera toute l’expédition immergé dans la grande bleue, la tête coincée entre deux rondins.
Mais l’aventure prend bientôt un tour inattendu : les chats du bord se multiplient de manière exponentielle après avoir mangé des poissons volants radioactifs. Y aura-t-il assez de place sur le radeau pour tenir jusqu’à la fin de l’histoire ?
Librement inspiré de l’expédition du Kon-Tiki, L’Expédition du Poisson Parlant est un vade-mecum indispensable à tout navigateur, qui tente de répondre à certaines questions vitales, comme : dans quel sens faut-il changer la date quand on passe la ligne de changement de date ?
Il permet surtout d’imaginer ce que seraient devenus Thor Heyerdhal, Alain Bombard ou Jacques-Yves Cousteau s’ils n’avaient pas eu le sens de l’orientation.
Ingénieur de profession et alpiniste amateur, William Ernest Bowman (1911-1985) est un de ces génies loufoques dont l’Angleterre a le secret.
Tout en entretenant une correspondance avec Albert Einstein, il écrivit deux livres hilarants, parodiant les exploits des grandes expéditions, l’une en montagne (À l’assaut du Khili-Khili, 1956 ; rééd. Rivages, « Série humoristique », 2009, 2010) et l’autre en mer : L’Expédition du Poisson Parlant (1957), traduit ici pour la première fois en français.
“ Là-bas, vers l’est, le dernier promontoire s’efface derrière l’horizon et la terre ferme n’est bientôt plus qu’un lointain souvenir. Le monde se contracte en un vaste cercle d’eau au milieu duquel figurent le Poisson Parlant et une population de cinq hommes à moitié nus, deux chats, une grenouille, une huître et vingt-huit boîtes de sardines. Nous sommes enfin seuls avec la mer, le ciel et notre grand ami le soleil qui déverse à profusion ses bienfaits sur nous, brunissant nos corps et adoucissant nos philosophies.
Willy, couché sur le dos, étire voluptueusement ses bras.
– Je suis presque convaincu, soupire-t-il, que le culte du soleil est la seule vraie foi.
– Tu te ramollis, dit Hugo en mâchant un bout de teck.
Il se tourne sur le ventre et regarde l’eau qui clapote entre les rondins.
Cwmlad Jones, un poireau fourré dans le maillot de bain à l’occasion de la Saint-David, secoue la tête d’un air sceptique.
– Certes, lance-t-il d’un ton approbateur, mais l’idolâtrie est une tout autre affaire.
C’est au tour d’Hugo de secouer la tête. Il la secoue.
– Argh ! s’écrie-t-il.
Nous l’observons, intrigués. Sa barbe s’est prise entre deux rondins et il a perdu tout intérêt pour la discussion.
– Tu remets ça, dit Cwmlad Jones, toi et ta maudite barbe ! Je me demande comment tu arrives à la supporter, mon vieux.
– Blurb... blurb... blurb... gnnnnn ! dit Hugo.
Il se dégage d’un coup sec.
– Ce serait plus sûr pour nous tous si tu t’en débarrassais, soupire Cwmlad Jones.
– J’ai un requin sous les pieds, déclare Batters, immergé jusqu’au cou.
– Bien joué, vieux, le félicite Hugo.
Je note la conversation dans mon carnet. La vie d’auteur n’est pas une sinécure, même sur un radeau au milieu du Pacifique.
Mon nom est Binder. Je suis un auteur, sur un radeau au milieu du Pacifique. Ma vie n’est pas une sinécure.
Le doux va-et-vient du Pacifique est comme le battement de cur d’un monde endormi. Le bercement du radeau nous plonge dans un état de rêve éveillé. La réalité, tangible et inondée de soleil, se confond avec les fantaisies nées de notre imagination. Le présent devient intemporel et incompréhensible. Nous nous demandons ce que nous faisons ici.
Willy relève la tête.
– Que diable faisons-nous ici ? demande-t-il.
– Quelque chose en rapport avec des poissons, non ? répond Cwmlad Jones en grattant sa cuisse dodue – la gauche.
– Quelle importance ? dit Hugo d’un ton endormi.
Et nous nous laissons emporter par nos songes secrets. ”
© Estate of W. E. Bowman / Wombat, 2013.
« Cinq hommes sur un radeau au milieu du Pacifique, avec deux chats, une grenouille et vingt-quatre boîtes de sardines...
Désopilant, loufoque, philosophique, ce bijou d’humour anglais réinvente le roman de voyage, maltraitant avec jubilation
nos explorateurs. » (Valérie Gans, Le Figaro madame)
« Cinq Pieds nickelés-Bras cassés, grands marins devant l’Eternel, osent se mouiller. Le Club des Martyrs
vogue en douce dinguerie, un théâtre de l’absurde qui, sans honte aucune, peut rivaliser avec les Monty Python. Aguerri
à la mécanique du rire, du nonsense british, Bowman manie avec brio l’outrance intelligente. »
(Alphonse Cugier, Liberté-Hebdo)
« Quel héroïsme, quel générosité, quelle drôlerie ! Nous n’allons pas vous dévoiler
le temps qu’il faut à la fine équipe pour quitter le port (avec deux chats), le temps qu’il faut aux chats pour
muter, le temps qu’il faut pour couler le paquebot destiné à transporter la fusée d’exploration
interstellaire à plusieurs millions de dollars, non, annonçons sobrement quel délicieux moment de lecture (hilarante)
vaut ce “Poisson parlant” qui inciterait presque à fabriquer un radeau pour voyager cet été. »
(Eric Dussert, L’Alamblog)
« Le masochisme des personnages, qui ne cessent de comparer leurs blessures avec satisfaction, joue pour beaucoup dans la drôlerie de
ce récit déjanté, proche par son rythme trépidant des cartoons de Tex Avery. »
(Bernard Quiriny, L’Opinion)
« Inconnu de moi, cet humoriste anglais s’est attaqué à parodier les livres d’expéditions aventureuses,
genre Kon-Tiki, mais aussi Trois hommes dans un bateau... L’Expédition du poisson parlant est écrit à
l’anglaise, imperturbable et distancié, tout en montrant un équipage à la ramasse dans une expédition nif et
niafier. De surcroît, cette édition se paie une double couverture de Goossens, on ne pouvait pas passer à
côté. » (Yves Frémion, Fluide glacial).