HAÏSSEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES !
« Max Lampin est bien petit par rapport à ma haine. C’est un sale type, d’accord, mais pas exceptionnel. D’ailleurs, cela ne changerait rien s’il était un petit saint. Alors pourquoi m’en prendre à lui avec une telle violence, une telle hargne ?
Je vais vous le dire.
Lorsque, comme moi, on est vieux, pauvre, malade, humilié, bafoué, on n’a plus l’orgueil de ses ennemis. Le premier venu suffit. Il permet de soulager sa bile, c’est le principal.
Quand celui-là aura servi, on en prendra un autre.
L’important, c’est de ne pas crever de rage. »
Roland Topor
Certains se détendent grâce à des livres de coloriage. D’autres ont besoin d’exercices de détestation, voire de magie noire, pour rester zen : déversez donc votre colère sur un bouc émissaire idéal : Max Lampin, petit cravaté binoclard en qui chacun pourra projeter (selon ses goûts) son patron, son banquier, son contrôleur fiscal ou son homme politique le plus haï. Vous en serez soulagé !
Paru à l’origine chez Pauvert en 1968 (certains pensèrent alors à De Gaulle), série graphique inspirée esthétiquement du « graffiti de chiottes », La Vérité sur Max Lampin révèle plus d’un demi-siècle plus tard sa dimension cathartique universelle.
Roland Topor (1938-1997) : peintre, dessinateur, écrivain, dramaturge, poète, chansonnier, cinéaste, acteur, photographe, etc. Remarqué très tôt pour ses étranges dessins au graphisme original (dans Arts, Bizarre et Hara-Kiri), il reçoit le prix de l’Humour noir dès 1961 et crée le mouvement d’avant-garde Panique avec Arrabal, Jodorowsky et Olivier O. Olivier.
Son premier roman, Le Locataire chimérique, sera adapté au cinéma par Roman Polanski ; son deuxième, Joko fête son anniversaire, recevra le prix de Flore en 1970 ; il écrira aussi des recueils de nouvelles, des pièces de théâtre et des livres concepts.
Du long-métrage d’animation La Planète sauvage (avec René Laloux, prix spécial du Jury à Cannes en 1973) au meilleur film sur Sade, l’étonnant Marquis (avec Henri Xhonneux), en passant par les émissions télévisées Merci Bernard, Palace et Téléchat, Topor marquera également de son empreinte le cinéma et l’audiovisuel.
Certaines de ses images (affiches pour Amnesty International ou les films L’Empire des sens et Le Tambour) ont fait le tour du monde, toujours relevées d’un humour noir féroce.
« De son vivant, Topor vendait peu de tableaux, en donnait beaucoup, ses livres faisaient des bides, ses pièces des scandales, ses films faisaient hurler les critiques, et tout cela le rendait hilare : qu’est-ce que vos parents ont été cons ! Dépêchez-vous de (re)découvrir ou même relire tout simplement ces petits bijoux d’un des génies du XXe siècle. Avant que trente crétins, par leur silence, ne nous l’enterrent pour de bon. » (Yves Frémion, Fluide glacial)
La vérité est une ordure
À moins que ce ne soit un autre, puisqu’il est interchangeable, avec sa tête de conseiller de président, son sourire de banquier à lunettes, sa cravate de guichet d’administration, Max Lampin est sans doute increvable, puisqu’il n’arrête pas de ressusciter. Max Lampin est immortel comme la colère, comme l’injustice, comme la haine du premier venu. Il est inépuisable comme la connerie humaine, vertigineux comme un trou dont on ne voit pas le fond. Max Lampin est détestable comme la hiérarchie, insupportable comme la résignation, impossible comme la mort. Max Lampin crève.
« Topor me montre un petit carnet, La Vérité sur Max Lampin, dira Wolinski en 2004. J’éclate de rire. Topor me dit : “Qui veux-tu qui m’édite ça ?” Nous sommes allés ensemble chez Pauvert, qui bien sûr a édité ça. » La Vérité sur Max Lampin sort en septembre 1968. Soixante-douze dessins sur les rectos de 144 pages. Premier tirage : 600 exemplaires. Et, en 1972, Wolinski republie La Vérité sur Max Lampin dans cinq numéros quasi successifs de Charlie mensuel, entre le n° 41 et le n° 46. Dans l’éditorial du n° 45, il écrit : « Jean-Jacques Pauvert n’est pas content. J’ai publié Max Lampin sans son autorisation. Mais comme je suis son ami et qu’il m’aime beaucoup, il fermera les yeux. En effet, La Vérité sur Max Lampin de Topor, livre que je considère comme un des sommets de l’humour, fut publié aux éditions Pauvert en 1970 [sic]. Ce livre fut, comme le dit Pauvert avec une résignation souriante, “le plus grand bide de sa carrière”. » Max Lampin crève et recrève…
Extrait de la postface de Pacôme Thiellement
© Nouvelles Éditions Wombat, 2020