9 mini-romans d’amour déjantés signés par le maître canadien de la parodie
Ah ! l’Amour. Le thème le plus traité de la littérature mondiale, sans cesse décliné à toutes les sauces. Rien d’étonnant à ce que le caustique et spirituel Stephen Leacock ait su en tirer pas moins de neuf versions parodiques distinctes dans ses deux recueils classiques (Nonsense Novels & New Nonsense Novels) : version guerre des sexes sur une île déserte (« L’Île de la tentation, ou Les naufragés de l’amour »), version idylle chevaleresque pré-Monty Python (« Guido, la broche de Gand »), version conte de Noël à la Dickens (« Le Noël de Caroline »), version journal d’une hystérique tolstoïenne (« Les souffrances d’une âme supérieure, ou Les Mémoires de Marie Mushenoff, traduites automatiquement du russe »), version écossaise à la sauce Brontë (« Hannah des Highlands »)…
Universitaire et lettré, Leacock concasse tous types de romans fainéants pour en faire des pépites de nonsense accélérés à mourir de rire, plutôt qu’à se pâmer d’amour. On constatera à la lecture de ses irrésistibles « mini-romans » (datant de 1911 et 1920) d’une étonnante modernité à quel point les clichés littéraires et amoureux, ici passés à la moulinette d’un précurseur de Tex Avery, ont si peu changé.
Avec un art subtil mais décapant dont Groucho Marx et Woody Allen, entre autres, ont vanté le génie, Stephen Leacock posait alors les bases du comique moderne anglo-saxon.
La présente édition reprend l’intégralité de L’Île de la tentation (Le Dilettante, 2003) augmentée de trois nouvelles, dont une inédite en français.
Surnommé le « Mark Twain canadien », l’universitaire et écrivain Stephen Leacock (1869-1944) fut l’oncle bienveillant de la littérature comique moderne du XXe siècle, dont l’influence s’étendra de la première génération du New Yorker jusqu’à Woody Allen et aux Monty Python, dont le sketch « Four Yorkshiremen » est une adaptation littérale de sa nouvelle « Self Made Men » (1910).
Célébré au Canada pour son roman choral Bienvenue à Mariposa (Wombat, 2014), Leacock est devenu un classique lu dans tout le monde anglo-saxon, notamment grâce à ses deux recueils de Nonsense Novels (en français L’Île de la tentation et Le Plombier kidnappé) considérés comme des chefs-d’œuvre de la parodie.
Comme disait un de ses lecteurs : « Stephen Leacock est un des types les plus drôles que je connaisse… Une fois qu’on a commencé à le lire, on ne peut plus s’arrêter. » (Groucho Marx)
« Je n’ai pas besoin de m’étendre sur les jours de labeur intense qui suivirent notre débarquement sur l’île. J’avais beaucoup à faire. Je relevais notre latitude et notre longitude. Après cela, je remontais ma montre, préparais le porridge et cueillais des fleurs en attendant l’apparition de Mlle Croyden.
La beauté rayonnante de la jeune femme, au moment où elle sortait de son logis, me surprenait chaque jour un peu plus. Un matin, elle s’attachait une branche d’arbousier sauvage au-dessus du front. Une autre fois, elle se nouait une ceinture de volubilis autour de la taille. Une autre fois encore, elle s’enveloppait dans un tapis de joncs.
Avec ses pieds nus et tous ces joncs enroulés autour d’elle, elle ressemblait à une femme des cavernes, ses yeux s’enflammant aux premières lueurs de l’aube caraïbe. Tout mon corps frémissait à sa vue. Cela tenait parfois du miracle si je ne lui arrachais pas ses joncs pour la fouetter avec. Mais j’avais appris à me maîtriser. Je lui tenais une grosse pierre pour qu’elle s’asseye. Puis je lui passais le porridge au bout d’une pelle avec la politesse sereine d’un ami.
Or, même si j’œuvrais pour notre confort à tous deux, Edith Croyden occupait toute la place dans mon esprit. Je savais qu’une fois les barrières tombées entre nous, tout serait balayé. Dieu seul sait l’effort que cela me coûtait ! Il me fallait parfois faire preuve de la plus ferme des résolutions pour ne pas céder à mes violentes pulsions. Je surpris un jour la jeune dame en train d’écrire sur le sable avec un bâton. Je vins voir ce qu’elle avait écrit. Je lus mon propre nom : “Harold”. Avec un hurlement de bête, je me précipitai dans la mer et plongeai jusqu’au fond. Quand je remontai, j’étais plus calme. Edith vint vers moi ; tout dégoulinant que j’étais, elle posa ses mains sur mes épaules.
– Vous êtes magnifique, dit-elle.
– Oui, répondis-je.
Puis j’ajoutai :
– Mademoiselle Croyden, par pitié, ne me touchez pas l’oreille. Je ne le supporterai pas. »
« Parfait de bout en bout, drôle et légèrement cynique sur les bords, le farceur Stephen Leacock paraît ici au meilleur de sa forme. L’Île de la tentation mérite amplement d’apparaître en bonne place sur toutes les tables de chevet, tant le volume paraît l’antidote idéal à l’arrivée de l’hiver » (Alexandre Fillon, Livres hebdo)
« Groucho Marx ne se trompait pas quand, un ouvrage de Leacock en main et entre deux éclats de rire, il déclarait : “Une fois qu’on a commencé à le lire, on ne peut plus s’arrêter.” Désopilante, cette critique des êtres, des mœurs et des légendes est plus profonde et cruelle qu’il n’y paraît. » (P-R Leclercq, Le Monde des livres)
« Toutes les nouvelles m’ont enchantée… On ne louera jamais assez l’humour canadien. » (Olivia de Lamberterie, « Le Masque et la plume »)
« Signées par le Mark Twain canadien, ces nouvelles sont irrésistibles et leur loufoquerie d’une élégance sans défaut. » (Pierre Vavasseur, Le Parisien)
« N’est-ce pas du Tex Avery ?… Vautrez-vous dans le nonsense, dévorez ces miettes de Leacock et remerciez le Canada ! » (Dominique Durand, Le Canard enchaîné)
« Un recueil de nouvelles hilarantes d’un grand humoriste canadien… De toute façon, tout livre avec un dessin de Glen Baxter en couverture est nécessairement un chef-d’œuvre. » (Frédéric Beigbeder, Voici)