Suivant les destins croisés de six personnages, ce roman polyphonique de l’auteur des Remèdes du docteur Irabu nous plonge dans la « petite industrie » du sexe à Tôkyô.
Fasciné par les conquêtes féminines de son voisin, un solitaire asocial épie ses ébats à travers les cloisons en s’organisant d’acrobatiques séances de masturbation.
Un jeune rabatteur, qui débauche des femmes dans la rue pour des clubs très spéciaux, apprend le difficile métier de souteneur.
Prête à tout pour tromper sa langueur et son ennui, une femme au foyer quadragénaire se lance dans le porno.
En manque d’inspiration, un vieil écrivain de romans érotiques paie des adolescentes dans un karaoké louche pour retrouver l’excitation...
Six personnages rongés par la solitude voient ainsi leurs destins s’entrecroiser à Tôkyô. Qu’elle soit motivée par la nécessité, la curiosité ou l’envie, leur sexualité souvent pathétique, voire grotesque, reflète une recherche désespérée du contact humain dans la vaste métropole anonyme.
En mettant en écho ces six tranches de vie tragicomiques, Lala pipo tisse un roman polyphonique, où chacun agit comme miroir de l’autre, d’un réalisme cru, parfois dérangeant, mais toujours empreint de compassion et d’humour.
Né en 1959 à Gifu, Hideo Okuda est l’auteur d’une œuvre riche et variée, souvent primée au Japon (prix Naoki en 2004 pour Un yakuza chez le psy), dont Wombat s’attache à faire découvrir les multiples facettes. Okuda a notamment signé la trilogie du docteur Irabu (3 millions d’exemplaires vendus au Japon), dont les deux premiers tomes sont déjà parus en français : Les Remèdes du docteur Irabu (Wombat, 2013 ; rééd. « Points ») et Un yakuza chez le psy & autres patients du Dr Irabu (Wombat, 2014 ; rééd. « Points »), ainsi que Lala pipo (Wombat, 2016), roman indépendant de cette série.
“ Ce jour-là, en passant au bureau, Kenji trouva Ômura et Nishizawa à genoux sur la moquette en train de se prosterner devant une fille.
Encore ? se dit-il en se dirigeant vers le frigo, où il se servit un verre de thé oolong.
– ... Vous seule pouvez nous sauver ! disait Ômura, d’une voix en sanglots qui résonnait dans le bureau. On se retrouvera sur le pavé si vous ne nous faites pas la grâce d’un ou deux petits déshabillages ! L’homme qui est devant vous est acculé au bord du précipice. À cinquante ans, je ne peux plus compter trouver un emploi nulle part. Je vous en supplie humblement, mademoiselle, sauvez-moi ! Je veux dire, sauvez ma famille, par pitié !
Ômura ? Une famille ? C’était plus que probablement un bobard. Et qu’il était au bord de la faillite aussi, gros mensonge. Kenji vida d’un trait son verre de thé oolong.
– Ah, Kurino ! s’écria Ômura en l’apercevant, toi aussi, viens par ici et demande à genoux miséricorde avec nous...
Et voilà, c’est reparti, soupira-t-il intérieurement. Il ne pouvait pas refuser, alors il se mit à genoux et se prosterna devant cette fille d’à peine vingt ans assise sur le sofa.
C’était la cinquième fois qu’il se retrouvait avec les autres à genoux devant une fille. Ômura croyait dur comme fer que nulle femme n’était capable de refuser quoi que ce soit à un homme qui se mettait à genoux devant elle. Et il faut avouer que, les cinq fois, celles devant lesquelles il s’était agenouillé avaient toutes fini par accepter de tourner dans le porno.
– Je ne parle pas seulement de la situation de ma modeste entreprise. J’avoue sans hésiter qu’en tant qu’homme je sens comme une mission qui se met en branle dans mon cœur, et un peu plus bas, pour donner au monde l’opportunité d’apprécier à sa vraie valeur le visage et les proportions de votre beautiful mademoiselle comme on n’en voit pas une tous les dix ans, sans quoi ce serait trop du gaspillage, vrai de vrai, instamment je vous en supplie : daignez relever l’honneur d’un homme, et sa queue. Allez, allez, Nishizawa, Kurino, on se prosterne devant une déesse pareille !
Kurino sentit une main lui maintenir le front contre la moquette.
– Nous vous supplions instamment, mademoiselle, récitèrent les trois hommes à l’unisson.
– Mais j’ai peur, si mes parents l’apprenaient...
La fille était franchement embarrassée. À mieux y regarder, en fait, c’était un genre d’employée de bureau très ordinaire.
– Aucun problème. Je vous en donne ma garantie personnelle et un massage de pieds en prime si vous voulez. Selon les statistiques établies par notre compagnie, le taux de découverte par les parents est de 3 % à peine ! Trois cas sur cent ! Et encore, ces trois malheureux cas, c’était parce que leur père était un lecteur assidu de Video World Magazine.
Non, mais d’où sort-il tout ça ? se demandait Kenji, admiratif.
– Il suffira juste d’éviter de passer dans les journaux et à la télé, et il n’y aura aucun souci. Songez plutôt au fric que vous allez vous faire ! Deux millions, vous vous rendez compte ! Deux millions de yens, chère mademoiselle ! Je sais que vous ne cracheriez pas dessus, n’est-ce pas...
– Bah ouais, ça c’est sûr...
– Et en plus, c’est l’occasion de connaître le paradis grâce à de vrais maîtres du sexe ! Le sexe ! Ne me dites pas que vous détestez le sexe, quand même ?
– Moi ? Bof, j’aime pas tant que ça, en fait...
– Oh ! Bravo ! C’est encore mieux, quelle chance vous avez ! Jusqu’à présent vous n’avez pas connu de pointures vraiment capables. Mais, grâce à cette opportunité de tourner dans une vidéo, vous allez vivre une véritable renaissance, je vous le promets. ”
© Hideo Okuda / Gentosha Inc. & Nouvelles Éditions Wombat, 2016.
« Évacuons d’emblée la question du titre bizarre de ce livre : Lala pipo, c’est tout simplement “a lot of people” (mal) prononcé à la japonaise. Et du monde, il y en a dans ce qu’on qualifiera sans hésitation de roman à la construction la plus machiavélique de cette rentrée littéraire : lycéennes se prostituant pour un sac Chanel, secrétaires bien en chair arrondissant leurs fins de mois en tournant leurs vidéos X, rabatteur pour club topless, écrivain usinant les contes fripons à la chaîne… Tout ce petit monde finit par ses croiser dans une envoûtante “ronde” du sexe, seul remède à la sidérale solitude tokyoïte. C’est parfois cru, jamais vulgaire. Hideo Okuda excelle à mettre en scène ces humiliés et ces offensés, ces “perdants de la vie” écrasés par leurs kilos en trop, leurs mères dépressives ou leurs dettes. (…) Et, comme toujours avec les éditions Wombat, la couverture, signée, cette fois-ci, Loulou Picasso, est magnifique. Lala pipo méritera vraiment d’être lu par “a lot of people”. » (Jérôme Dupuis, L’Express)
« Chacun des six chapitres de Lala pipo a un titre anglais qui est celui d’un succès musical et chacun met en scène un antihéros aux prises avec sa vie sexuelle. Les six aventures s’enchevêtrent selon un point de vue différent avec plus de talent et de plaisir pour le lecteur que ne le font les corps pour les personnages. (…) Avec un humour continu, Hideo Okuda raconte un monde sinistre où, en outre, chacun ou presque a honte… » (Mathieu Lindon, Libération)
« Si Lala pipo frôle le puritanisme qui caractérise souvent les satires trash (Paul Morrissey, Pedro Almodovar), il séduit surtout par son parfum d’impermanence désenchantée : “Elle marchait dans Shibuya, observant les passants. Quelles vies ont tous ces gens ? Sont-ils heureux ? Bah, à quoi ça sert d’y penser ? Que la vie soit à rire ou à pleurer, il faut quand même la vivre. Demain aussi, après-demain aussi.” » (Éric Loret, Le Monde des livres)
« Hideo Okuda met ainsi en scène une ville clandestine, antithèse de la conurbation nipponne hérissée de gratte-ciel et constellée d’enseignes clignotantes multicolores. Quittant les clichés high-tech, il plonge le lecteur dans la nuit de l’industrie du sexe dans la capitale japonaise. De cette odyssée souterraine, il naît un roman qui pousse à s’interroger sur les effets pervers de l’anonymat urbain et d’un conformisme caricatural qui sont autant de traits typiques d’une société de consommation en roue libre. » (Marc-Olivier Parlatano, Le Courrier, Suisse)
« D’un cynisme consommé, Lala pipo est certes fort drôle, mais plus d’une fois le rire se fige lorsqu’on réalise à quel point les caricatures d’Okuda sont proches de la réalité. L’auteur réussit en outre l’exploit de ne jamais sombrer dans le lourdingue alors que le sexe est abordé avec crudité à toutes les pages, car l’approche sociologique l’emporte toujours sur la vulgarité. On commence par lire une farce, et on se retrouve à la fin avec un chef-d’œuvre dont on ne pouvait guère soupçonner au début la profondeur et l’intelligence… » (Stéphane Babey, Vigousse, Suisse)