Petit-fils d’une prêtresse chamane, Naruhiko a hérité de ses dons de voyance, qui provoquent chez lui des crises de narcolepsie. Pour mieux contrôler ses pouvoirs, l’adolescent retourne sur la terre de ses ancêtres, dans le Hokkaidô, afin d’y subir un éprouvant rite d’initiation...
Mariko, lycéenne devenue amnésique, est séquestrée pendant deux ans par un homme qui abuse d’elle et la conditionne au meurtre. Libérée par la mort de son geôlier, elle se rend à Tôkyô pour tenter d’y retrouver son identité. Mais elle est happée par la violence des bas-fonds et les réseaux de prostitution, qui la conduiront de nouveau à tuer...
Tandis que la police enquête sur les meurtres de la jeune fille – qui apparaît en rêve à Naruhiko –, son chemin croise celui de Sanada, un professeur d’université condamné par la maladie, qui décide de l’aider à recouvrer la mémoire, tout en orchestrant une nouvelle spirale de destruction...
Les trois outsiders vont unir leur destinée dans cet étonnant thriller fantastique, qui livre une critique virulente du monde contemporain. Car si l’auteur convoque le chamanisme et les forces spirituelles d’un Japon millénaire, c’est pour mieux dénoncer l’enfer d’une société qui a perdu son âme.
Né en 1961, Masahiko Shimada publie son premier recueil de nouvelles en 1983. L’année suivante, son roman Mûyûkyoku no tame no ongaku remporte le prix Noma. Il est depuis l’auteur d’une uvre riche et protéiforme, qui explore notamment la perte de repères de la société et de la culture japonaises. On citera Yumetsukai (traduit en anglais sous le titre The Dream Messenger) et Higan Sensei (prix Izumi Kyôka), paru en français sous le titre Maître Au-delà (Le Serpent à plumes, 2003).
Passionné par le chamanisme, Shimada signe avec La Fille du chaos un « spiritual mystery » empruntant au fantastique et au polar. Ce livre a reçu en 2008 au Japon le prix Geijutsu Senshô.
“ L’homme vit au sein de la nature : elle lui a donné tous ses bienfaits, elle lui a inspiré de l’effroi, et l’homme, parfois, l’a changée, pour finalement revenir à elle. Les chasseurs des temps anciens ont développé leurs propres croyances, nées de leurs échanges avec la nature. Pour eux, les âmes habitaient non seulement les animaux, mais aussi les plantes et les roches, les montagnes et les rivières, la pluie et le vent, et les objets eux-mêmes. C’était une croyance universelle, sans doctrine, sans temple, sans écriture sacrée, sans maître ni clergé. Côtoyant les esprits, scrutant l’au-delà, voyageant avec leur âme, les chamanes en extase célébraient des rites. Ils s’inclinaient devant les oracles transmis par leurs rêves, et ont finalement dû affronter leur cruel destin. Leur nom a pour origine le mot «saman» qu’employaient les Toungouzes, peuple de chasseurs de Sibérie. L’influence des sorciers guérisseurs, prêtres et médiums, s’étendait non seulement à la Sibérie et à la Mongolie, mais aussi à l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, l’Asie du Sud, le cercle arctique, l’Amérique du Nord et l’Amazonie. Ils suivaient les traces des grandes migrations. Et bien que les chamanes, avec leur religion universelle de la nature, aient été persécutés par les religions établies – christianisme, bouddhisme, islamisme – comme par les nouveaux cultes, ils ne se sont pas éteints pour autant. L’ère des chamanes et de leurs rêves a pris fin, mais ils reviendront un jour ou l’autre. Dans un monde où règnent les médias et la finance, il leur reste un rôle à jouer. ”
« Foin d’haïkus délicats et de cerisiers en fleur : dans La Fille du chaos, Masahiko
Shimada déclenche les plus sanglantes passions nippones. (...) Conçu comme un spiritual mystery, un “polar
surnaturel”, La Fille du chaos mixe la violence d’un thriller urbain marqué par l’esthétique
à la hache des séries B japonaises, la violence du SM hardcore et les sortilèges des contes fantastiques
ruraux. Un monde fantastique qui, si l’on en croit la postface de l’auteur, constituerait un trésor latent,
tapi au fond de la psyché, et dont la puissance intacte n’attend que des serviteurs dévoués pour
retrouver sa puissance salvifique. » (François Angelier, Le Monde des livres)
« Naviguant entre le polar et le fantastique, l’auteur nous fait vite comprendre que c’est un portrait
au vitriol de la société nippone qu’il est en train d’esquisser. Dans ce Japon-là, les femmes
ne sont pas les bienvenues : les lycéennes vendent leurs culottes sales à des pervers pour financer leurs
études, les fugueuses sont récupérées par des filières de prostitutions, les hommes ne
pensent qu’à abuser des demoiselles. Dans ce Japon-là, les chamanes se sont perdus en route, la nature a
disparu, et les peuples anciens ont été oubliés, absorbés, démembrés. Dans ce
Japon-là, le taux de suicide est le plus élevé au monde, et l’on finit par trouver ça
normal. C’est finalement ça, la leçon de Masahiko Shimada : face au cynisme omnipotent, il signe un
texte farfelu qui, malgré sa noirceur et sa subversion presque terroriste, tend à réenchanter une
société qui a perdu son âme. » (Mikaël Demets, L’Accoudoir)
« Un roman noir japonais, transgressif et politique. »
Article de Stéphane du Ménildot (extrait de Chro nº8, août 2014)
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