Savez-vous que les Jeux olympiques modernes ne furent pas créés par Pierre de Coubertin, mais initiés par un docteur anglais, William Penny Brookes, en 1850 ? Que le bois de Boulogne, lors des JO de 1900 à Paris, fut jonché de cadavres sanglants de volatiles, à cause de l’épreuve de tir aux pigeons vivants ? Connaissez-vous George Eyser, vieillard de trente-trois ans qui décrocha six médailles en gymnastique en 1904, malgré son très léger handicap : une jambe de bois ? Ou encore Shizo Kanaguri, coureur japonais qui prit le départ du marathon aux JO de Stockholm en 1912, ne franchit jamais la ligne d’arrivée et s’évanouit dans la nature… avant de revenir finir sa course en 1966 (gagnant ainsi le titre de plus lent coureur de l’histoire du marathon aux JO) ? Enfin pourquoi le rugby, après la désastreuse expérience de 1924, ne figure plus dans la liste des sports olympiques ?
Cette trentaine d’histoires authentiques, savoureuses, étonnantes, cocasses, couvrant plus d’un siècle de Jeux olympiques, révèlent l’essence même du sport, dans sa dimension réellement humaine, vue plus souvent du côté des « losers » que des « winners » (même si l’on y croise, entre autres champions excentriques, Johnny Weissmuller ou Cassius Clay). Elles sont ici narrées avec passion, humour et esprit par le sportif et érudit Thierry Beauchamp.
Né à Paris en 1969, Thierry Beauchamp est un parfait inconnu pour la plupart de ses contemporains. Il a fait ses humanités dans le surréalisme et ne l’a jamais regretté. Collaborateur de France Culture, il s’y efforce de faire partager son goût pour la poésie vagabonde et les histoires ineptes. Traducteur d’anglais au long cours (Ambrose Bierce, Stephen Leacock, S. J. Perelman, Jim Tully, Charles Bukowski, John Lennon, Mohamed Ali…), il dialogue la nuit plus que de raison avec des auteurs anciens souvent méconnus.
Amateur de sports oubliés, il est aussi le théoricien incompris de la course de désorientation, qui consiste à partir d’un point A pour atteindre un point C sans jamais passer par le point B que l’on s’était fixé comme destination. Il revendique également le droit pour les animaux de participer aux Jeux olympiques.
Un moyen très simple de laisser sa trace dans la légende des Jeux est de ne pas y participer. Bien sûr, vous vous faciliterez la tâche en ayant déjà remporté un titre olympique. Mais vous devez bien comprendre qu’il ne suffit pas de gagner pour marquer les esprits. Qui se souvient encore du vainqueur du tournoi de croquet de 1900 ou de l’épreuve de tir à la corde de 1904 ? L’étiquette olympique recommande de ne pas ménager ses efforts pour faire parler de soi, quitte à accepter – de temps à autre – les coupes de champagne que l’on vous offrira sur ce chemin semé d’épines.
L’histoire de la nageuse Eleanor Holm le démontre de manière éclatante. Cette Américaine de Brooklyn au physique avantageux s’était mise à la natation pour impressionner les sauveteurs de Long Island. Elle remporta son premier titre national à l’âge de treize ans. Peu après, en 1928, elle rejeta une proposition des Zigfeld Follies pour ne pas manquer les Jeux d’Amsterdam. Quatre ans plus tard, lors de l’olympiade de Los Angeles, elle s’adjugea la médaille d’or en reléguant sa dauphine à plus de deux secondes – une éternité dans le monde ultra-rapide des delphinidés.
Au sommet de sa gloire sportive, elle épousa le chanteur Art Jarrett et, tout en continuant d’enchaîner les victoires, elle se mit à goûter aux plaisirs de la nuit. En 1936, elle fut de nouveau conviée à participer aux Jeux olympiques. Désormais la naïade préférait le Petrus à l’eau claire et, malgré le couvre-feu imposé aux athlètes par leurs dirigeants lors de la traversée de l’Atlantique, Eleanor ne sut pas refuser les innombrables invitations des passagers des premières. Le Comité olympique américain l’exclut après une partie de craps trop arrosée en compagnie d’éminents représentants de la presse sportive.
Ayant pris goût aux parties de dés, elle se fit journaliste pour l’agence International News, propriété du sulfureux William Randolph Hearst, le modèle du Citizen Kane d’Orson Welles. À Berlin, malgré le scandale causé par son exclusion, elle devint vite la coqueluche des nazis qui, après avoir dénoncé ses mœurs décadentes, se disputèrent sa charmante compagnie. Eleanor n’en garda pas un mauvais souvenir. « Goering est marrant, déclara-t-elle. Il a une bonne personnalité. Pareil pour celui avec un pied bot. » Goering lui offrit une croix gammée d’un métal précieux. À son retour, la fille de Brooklyn y fit enchâsser une étoile de David en diamant. Quant à sa carrière olympique, elle avait fait une croix dessus.
Toutefois, sa légende de belle scandaleuse lui ouvrit les portes du music-hall et du cinéma. Elle ondoya dans plusieurs ballets aquatiques et décrocha le rôle de Jane dans La Revanche de Tarzan, en 1938. Eleanor Holm ne se fit pas dévorer par les crocodiles car elle savait nager en eaux troubles : elle se remaria, vécut heureuse et eut beaucoup d’amants.
Amis champions en herbe ou en rêve, abstenez-vous de sabrer le champagne avec des nazis. Inspirez-vous plutôt de l’exemple de lord Burghley, médaillé d’or du 400 mètres haies aux Jeux d’Amsterdam de 1928 : cet excentrique anglais posait des coupes pleines à ras bord sur ses haies lors de ses séances d’entraînement. Grâce à cet habile stratagème, il améliora sa technique de passage de l’obstacle. Précisons qu’il s’autorisait à boire les coupes qu’il ne faisait pas tomber.